Architecte | SANAA, Tokyo. Concept muséographique: Studio Adrien Gardère. Co-Concepteur, Paysagiste: mosbach paysagistes. Conception éclairage muséographique et réglages: ACL Alexis Coussement. |
Bureau d'études | Arup, Londres |
Photographe | Iwan Baan |
Lieu du projet | Lens |
Le Pas-de-Calais évoque encore la houille et l'industrie lourde. L'installation du Louvre Lens vient brouiller cette image. Par sa conception exceptionnellement compacte, cette annexe du Louvre se démarque de son grand frère parisien. Les architectes tokyoïtes de SANAA et les éclairagistes londoniens d'Arup ont réussi à inscrire solidement le Louvre Lens sur la scène muséographique internationale.
Au Louvre-Lens, l’architecture toute en ouverture de SANAA, le paysage aride et le concept global du musée entrent dans un dialogue fascinant. ERCO a demandé à son directeur Xavier Dectot, au concepteur d’exposition Adrien Gardère et au concepteur lumière Jeff Shaw d’expliquer la genèse du projet
Quand en décembre 2012, le Louvre inaugure une antenne loin de la maison mère parisienne, dans le nord de la France, l’événement fait sensation. Concevoir un musée de cette envergure dans une région industrielle économiquement affaiblie était un signal fort pour la renaissance d’un ensemble minier autrefois florissant. Le concept semble faire mouche, puisque plus de 300 000 visiteurs ont franchi les portes du musée les trois premiers mois. La raison réside sûrement dans l’approche adoptée : au lieu de copier le musée le plus célèbre au monde, le lieu répond à un concept innovant tant sur le plan conceptuel qu’architectural, comme un laboratoire visionnaire de formats d’exposition ouverts, non conventionnels.
Le cœur du musée bat dans la Galerie du Temps, qui renonce à toutes les règles de présentation classiques, par régions, époques ou techniques. « Au lieu de séparer les œuvres, nous les avons rassemblées dans cette immense salle, où leur exposition suit un ordre chronologique, de l’an 3 500 av. J.-C., avec l’invention de l’écriture, jusqu’en 1850, date à laquelle s’arrêtent les collections du Louvre » En expliquant cette démarche, Xavier Dectot, le directeur du musée, la volonté initiale d’instaurer un dialogue entre les œuvres et de les comparer suivant l’axe temporel, au lieu de les classer par catégories statiques. Les plus de 200 objets d’art exposés proviennent du Moyen-Orient, d’Egypte, de Grèce et de Rome, du monde islamique et d’Europe. « Les collections devaient être présentées différemment, pour pouvoir être observées sous un angle nouveau », poursuit Xavier Dectot à propos de ce concept qui s’affranchit des conventions. « Pour un historien, pour un conservateur, c’est là une occasion exceptionnelle de revoir sa vision des choses. Par ailleurs, nous avions aussi pour objectif d’attirer un nouveau public. » C’est là d’ailleurs l’un des principaux défis de l’institution aujourd’hui souligne le directeur du Louvre-Lens.
Xavier Dectot est historien d’art, « parce que la beauté m’intéresse. Je voulais comprendre pourquoi quelque chose semble beau et pourquoi l’humanité a modifié sa conception du beau au cours de l’histoire. » Le concept de présentation donne un aperçu de ce que l’homme a trouvé beau au long des siècles. Il appartient à l’observateur de découvrir les motifs et d’identifier les antagonismes. Le paysage ouvert, en rupture, s’harmonise avec l’idée d’un Louvre dans un ancien site minier.
Le concept d’exposition
Fondé sur un hall principal de 125 mètres de long et de 25 mètres de large, le concept d’exposition aussi rompt avec les habitudes. Au centre, « l’idée de toujours tout laisser ouvert, de ne jamais construire de pièce dans l’architecture, de permettre entre les œuvres un dialogue à 360°. » Et Adrien Gardère, responsable de ce concept d’ajouter : « Tout a commencé quand la décision a été prise de ne rien accrocher au mur, mais d’exploiter le centre de l’espace. De cette façon, les visiteurs peuvent s’étaler et aller partout. »
Ce même principe commande la disposition des estrades et des îlots qui se chevauchent en suivant le rayon du temps. « Ce rayon symbolise le temps qui passe à travers la galerie. Parfois quelques pas suffisent à faire un saut de 500 ans, ailleurs ils vous mènent seulement 10 ans plus tard », précise Adrien Gardère. Il a fallu plus de trois années au concepteur d’exposition, aux conservateurs du Louvre et au directeur pour sélectionner les œuvres appropriées. Le concepteur d’exposition résume tout en une phrase : « Même une fois le concept défini, le contenu n’en découle pas automatiquement. Il exige une recherche dans la présentation. »
L’architecture
Contenu et présentation, intérieur et extérieur s’entremêlent aussi dans l’architecture, en impliquant la ville, la région et ses habitants. « Seule la maquette de SANAA tenait compte du parc dans lequel nous nous trouvons et de cette idée d’ouverture, pour cet accès facile que nous voulions donner au musée », s’enthousiasme Xavier Dectot. « Avec ce bâtiment très épuré, très plat, dans lequel on pénètre très facilement, ils ont concrétisé cette idée. »
Tandis que des constructions muséales comparables visant à valoriser un lieu (Musée Guggenheim) attirent souvent l’attention par une architecture solitaire monumentale, le nouveau Louvre se montre ouvert et retenu à la fois. Sensible, l’édifice d’acier, de verre et de béton que traverse généreusement la lumière entretient un dialogue avec son environnement, sur ce terrain de deux hectares. Dessiné par le cabinet d’architectes japonais SANAA en coopération avec le studio new-yorkais Imrey Culper, il se dresse sur une exploitation houillère en friche. Ce bâtiment d’un étage s’insère harmonieusement dans le parc paysagé de Catherine Mosbach. Dès l’entrée, un cube de verre transparent affiche la proximité et l’ouverture dont le musée veut faire montre auprès des citoyens. L’enveloppe des autres parties du bâtiment, en aluminium brossé anodisé, renvoie un reflet flouté des alentours.
Le concept d’éclairage
Dans ce concept muséographique, l’éclairage joue un rôle particulier, en combinant les lumières naturelle et artificielle qu’oriente un plafond rythmé. « Le concept lumière reprend le concept architectural de SANAA avec la lumière naturelle zénithale », commente Adrien Gardère. « L’époque où un petit écrin noir était éclairé par un faisceau lumineux dirigé sur un objet isolé, comme en lévitation dans l’obscurité, est révolue. » Bien plus, il s’agit d’employer la lumière du jour à intégrer pleinement les œuvres d’art dans la pièce. Jeff Shaw, concepteur lumière d’Arup en charge du projet, ajoute : « Les gens aiment la lumière du jour, ils aiment le lien vers l’extérieur, la lumière naturelle les fait se sentir bien. La couleur de la lumière est parfaite, ses propriétés de rendu mettent en valeur les palettes, les teintes de chaque œuvre. »
Une construction à ce point inondée de lumière exige un complément d’éclairage artificiel. « La lumière naturelle varie énormément », explique Jeff Shaw. « L’été, en une seule et même journée, on peut passer de l’obscurité totale à 100 000 lux. La lumière varie rapidement entre 20 000 et 50 000 quand des nuages cachent le Soleil. » Et les concepteurs d’Arup ont dû maîtriser cette variation naturelle. Pour cela, ils ont mis au point un système qui complète la lumière du jour par un éclairage LED ou dont les stores empêchent les rayons du Soleil d’être trop intrusifs. L’éclairement reste constant. De plus, la couleur de la lumière s’adapte à l’exposition et au cadre architectural. « Déterminer la température de lumière optimale a été un travail de longue haleine », témoigne Adrien Gardère.
Le recours à la lumière naturelle et à l’éclairage LED a réduit en outre les dépenses d’énergie et donner lieu à de nouvelles solutions de commande de l’éclairage, parfaitement adaptées. « Ce système de commande répond à merveille aux besoins du musée. Il a été entièrement conçu en fonction de notre collection et nous permet d’utiliser des rails lumière », se réjouit Vincent Fourmestraux, chef de projet maintenance et exploitation au Louvre-Lens. « Au départ, le paramétrage du système prend du temps, mais les mêmes configurations d’éclairage peuvent être réutilisées très simplement pour d’autres expositions temporaires. »
Les avantages multiples des LED apparaissent clairement dans ce projet. Parce qu’il est possible de modifier la luminosité de ces diodes sans compromettre la qualité de leur lumière, qu’elles ne produisent aucun artefact perturbateur et que le bord net de leur faisceau permet des focalisations précises, il s’agit là d’un complément harmonieux à la lumière du jour. Petits et sobres grâce à la technique employée, les appareils d’éclairage à LED d’ERCO correspondent aussi formellement à l’élégant concept architectural du Louvre-Lens.
Pour Jeff Shaw, une révolution lumineuse se prépare dans les musées : « Selon moi, les principaux musées vont désormais sérieusement envisager les LED. » Le visiteur le remarquera à peine. Car pour Jeff Shaw, « l’objectif profond du concepteur lumière est d’élaborer un concept avec lequel personne ne parlera de l’éclairage. On entre, on apprécie les lieux, on fait exactement ce que l’on veut et puis on rentre chez soi. »